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Bulletin trimestriel
n°103 (2ème trimestre 2001)

article extrait

Inondations de la Somme : les inconsciences humaines d'hier et d'aujourd'hui
Emile Vivier

Les inondations de la basse vallée de la Somme auront marqué le printemps 2001, par leur ampleur et par leur durée : plus d'un millier de maisons inondées, avec parfois jusqu'à 2 mètres d'eau, pendant 2 à 3 mois (mars à juin).

Mais, bien plus que la pluie, c'est l'accumulation de fautes humaines dans la plus parfaite inconscience qui paraît en être responsable.

C'est d'abord que la Somme n'est pas un fleuve comme les autres : c'est le seul fleuve français qui ne débouche pas normalement dans la mer. Tous les autres s'ouvrent sur un estuaire ou débouchent par un delta. Pas la Somme !

Son eau doit s'écouler par un canal, rectiligne, de 14 km de long, d'Abbeville à St Valéry. La Somme termine ainsi son cours naturel à Abbeville... après elle doit passer par un tuyau dont l'histoire vaut la peine d'être connue.

L'idée de canaliser la Somme remonte à Vauban, mais c'est seulement en 1777 que la Chambre de Commerce de Picardie (et oui, ces chambres existaient déjà) décidait de barrer la Somme en aval d'Abbeville et de conduire toutes les eaux de la rivière dans le port de St Valéry, ceci malgré le désaccord des officiers municipaux d'Abbeville. En 1778, un arrêt du Conseil du roi prescrit le creusement du nouveau lit depuis Petit Port jusqu'à St Valéry.

Les travaux de construction du canal ont commencé en 1785 et se sont terminés en 1827. Tout le régime hydraulique de la baie s'en est alors trouvé bouleversé et si le port de St Valéry a pu se développer, par contre celui du Crotoy n'a fait que péricliter par suite d'ensablement et d'envasement (voir à ce sujet, l'article de F. Vignon : "les aménagements utiles et souvent nuisibles : le bassin de retenue du Crotoy" bull. N.N, 1978, fasc. 10, p. 3-7).

Tout le fond de la baie s'ensable inexorablement. Phénomène naturel peut-être... mais considérablement accéléré par les aménagements humains ; en effet, avant la canalisation, la rivière balayait la baie. Depuis on a construit au fond de la baie une route et une voie ferrée sur remblais : il n'y a plus d'ouverture sur le lit amont de la rivière et la mer, à marée haute, est bloquée par les écluses fermées du canal. Il n'y a donc plus d'effet de chasse à marée descendante : alors la mer recule et les vieux pêcheurs avancent leur explication : "le mal est venu quand ils ont commencé à boucher le fond de la baie avec des digues. Ils ont remblayé le long de la route. Il n'y a plus d'eau."

Alors la mer ne peut plus remonter. Mais la rivière ne peut plus descendre. Elle ne peut se déverser que par le canal et seulement quand la mer est assez basse et qu'on ouvre les écluses.

Le canal a été dimensionné, a-t-on dit, pour évacuer 80m3/seconde. Mais cette évacuation n'est possible que quand les écluses sont ouvertes. En attendant l'eau ne peut que s'accumuler en amont, c'est à dire à partir d'Abbeville.

Alors, si le débit de la rivière dépasse les normes prévues, si cela coïncide avec de grandes marées qui ne permettent pas l'ouverture des écluses pendant le temps suffisant, on devine le scénario : c'est l'inondation assurée à l'amont du canal.

Le plus étonnant, c'est que cela ne se serait pas produit auparavant ; jamais, de mémoires d'archives depuis la mise en service du canal on n'aurait connu pareille catastrophe. Cependant, des inondations, moins importantes que celles de ce printemps 2001, avaient eu lieu ces dernières années (4 en 12 ans à Fontaine-sur-Somme)... mais, apparemment, sans beaucoup inquiéter les élus locaux car les marais et étangs avaient toujours joué le rôle d'éponge.

 

Pourquoi une telle aggravation ?

 

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Carte schématique de la Basse Vallée de la Somme

Seuls les principaux axes de circulation sont représentés : A16, A28, D940, et la voie ferrée en fond de Baie de Somme.
Les limites approximatives du lit moyen de la Somme sont indiquées par des points-tirets.
Les zones gagnées sur la mer par les aménagements depuis 2 siècles sont indiquées en pointillés.

Trois facteurs paraissent jouer un rôle primordial : les pluies, les aménagements ruraux et techniques de cultures, l'urbanisation.

Les pluies, en ces mois de mars et avril, ont été particulièrement importantes. Mais ne serait-ce pas la conséquence de dérèglements climatiques dus à l'effet de serre ? Si oui, c'est l'homme, par ses émissions de gaz carbonique dues à la combustion des énergies fossiles en constante augmentation (voir article sur ce sujet dans le Bull. N.N. 2001, fasc. 102, p. 7) qui en est responsable.

L'aménagement rural, entrepris à partir des années 1960, et la mise en culture de surfaces immenses, dans l'Aisne et la Picardie, avec l'élimination des haies et fossés susceptibles de retenir les eaux de ruissellement, a certainement joué un rôle important. Ces aménagements, aggravés par les méthodes modernes de cultures qui entraînent une imperméabilisation des sols par tassement et une diminution de la matière organique (humus) qui joue un rôle de régulateur hydrique, n'ont pu que favoriser le ruissellement rapide. De tout cela, l'homme est encore responsable.

L'urbanisation inconsciente des zones inondables a fait le reste, c'est à dire l'ampleur de la catastrophe. La très grande majorité des maisons inondées sont récentes ; elles ont été construites depuis 1960 et surtout depuis la loi de décentralisation de 1982 qui a donné aux Maires le pouvoir de délivrer les permis de construire. Alors, l'assèchement des zones humides, le remblaiement de certaines zones inondables, a rendu toute la vallée vulnérable.

Le lit majeur de la Somme a été oublié dans les plans d'aménagement : on y a fait des zones urbanisables et des familles, confiantes, se sont installées dans leurs maisons neuves.

Le pire, dans toute cette affaire, c'est incontestablement l'inconscience de tous, habitants, élus locaux, administrations. Cette inconscience a été étalée au grand jour à l'occasion d'une émission spéciale de France 3 le 16 mai 2001 à Abbeville. A cette émission où étaient présents la Ministre du Logement, le Préfet, le Président du Conseil Général, les Maires d'Abbeville et de Fontaine sur Somme, des habitants, on a appris que le risque inondation n'avait jamais été évoqué au cours des réunions tenues antérieurement tant à la Préfecture qu'au Conseil Général, aucun élu n'en avait parlé. Il n'y avait pas, pour la Somme, de Plan de Prévention des Risques (PPR) alors qu'il en existe ailleurs.

Ainsi, de A à Z, les hommes sont responsables et coupables, ceci dans l'inconscience la plus totale.

Tout avait été fait pour que la catastrophe arrive : des pluies plus abondantes au ruissellement plus rapide entraînant le gonflement des eaux d'une rivière qui ne peut s'évacuer à la mer par le tuyau datant de 2 siècles, avec des maisons nouvelles dans les zones à risques...

Bravo ! la nature n'a pas raté son coup.
Mais ce sinistre servira-t-il de leçon ?
Pas sûr !

 

On va curer... on va renforcer les digues... mais

que fera-t-on pour l'effet de serre ?
que fera-t-on pour un aménagement rural et des techniques agricoles prenant en compte le cycle de l'eau ?

Va-t-on sérieusement revoir les P.O.S. et autre P.L.U. pour laisser à la rivière ses espaces de liberté et les mettre en zones inconstructibles ?

Et surtout va-t-on refaire un débouché normal à la Somme dans son estuaire avec un lit libre, en supprimant les digues qui obstruent le fond de la baie et en mettant route et voie ferrée sur les ponts ?

De tout cela, personne n'a parlé à cette émission spéciale de France 3 du 16 mai.

Il faudra d'autres inondations et il est probable que la nature, elle, n'oubliera pas, et la Somme, endiguée, canalisée, emprisonnée, se révoltera à nouveau. Alors, pour éviter une nouvelle catastrophe, libérons-la.

 

Annexes

Le débit moyen de la Somme est de 35m3/s, le débit d'étiage de 19m3/s et le débit de crue (habituel) de 60m3/s.Théoriquement, le canal maritime pouvait évacuer, mais il n'est pas ouvert 24h/24h (fermé aux heures de haute mer) et donc, si la crue est plus importante, elle ne passe plus...

On a accusé les Services de l'État d'avoir fait se déverser l'eau de la Seine dans la Somme pour éviter d'inonder Paris : stupide ! il aurait fallu des pompes gigantesques pour remonter l'eau d'une quarantaine de mètres ( ce seraient des chasseurs qui auraient lancé l'idée...)

On a accusé aussi les voies navigables d'avoir sans doute fait se déverser le canal du Nord dans la Somme. Mais d'habitude c'est l'eau de la Somme qui alimente en partie le canal du Nord.

 

On a dit n'importe quoi, mais on n'a pas vu l'essentiel.
Triste !


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