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Bulletin trimestriel
n°144 (année 2011)

article extrait

Problèmes posés par les lâchers d’espèces d’oiseaux chassables
issus d’élevage
par Jean Malécha

Par un arrêté daté du 18 janvier 2011 modifiant l’arrêté du 9 juin 2010 relatif à l’ouverture et à la clôture de la chasse dans le département du Nord pour la campagne de chasse 2010-2011, le Directeur départemental des territoires et de la mer a prolongé l’ouverture au faisan jusqu’au 20 février 2011 sur une partie du département. La fermeture de cette chasse était initialement prévue le 31 janvier. La raison invoquée est la suivante : « les conditions d’enneigement dans le département du Nord au cours du mois de décembre 2010…ont interdit la chasse au Faisan commun pendant plusieurs semaines ». En fait cette prolongation avait comme objectif principal de favoriser l’écoulement des stocks de faisans d’élevage.

Cette décision en rappelle une autre prise il y a quelques années. A la suite d’une mauvaise saison de reproduction de la Perdrix grise, plusieurs présidents d’associations de chasse avaient demandé une année de suspension de la chasse de cette espèce. Deux jours de chasse avaient cependant été imposés pour permettre l’écoulement des stocks de perdrix d’élevage grises et rouges.

Ces deux décisions ont eu comme seul objectif de favoriser une chasse commerciale sans se préoccuper de l’impact sur la faune sauvage autochtone. La prolongation de la chasse en février 2011 s’est exercée sur des animaux affaiblis par les conditions hivernales très dures qu’ils venaient de subir.

Dans notre région quatre espèces d’oiseaux d’élevage font l’objet de lâchers réguliers dans un but cynégétique. Il s’agit :
- du Faisan de Colchide ou Faisan commun. L’introduction en France de cette espèce originaire d’Asie serait très ancienne. Elle aurait été disséminée sur toute la France entre 1500 et 1700. Depuis elle s’est naturalisée dans certaines zones mais généralement sa présence est liée à des lâchers réguliers.
- du Faisan vénéré. Originaire de Chine il a d’abord été introduit dans un but cynégétique dans la deuxième moitié du 19ième siècle puis de nouveau après la dernière guerre. Naturalisé dans un grand quart nord-ouest de la France il se maintient grâce à des réintroductions répétées.
- de la Perdrix rouge. C’est une espèce dont l’aire de répartition initiale se situait au sud de la Loire. A la suite de lâchers renouvelés pour la chasse à partir de 1950 elle s’est installée dans
le sud-ouest de la France.
- de la Perdrix grise. C’est la seule espèce autochtone de la région Nord Pas-de-Calais.


Faisan vénéré, femelle. Photo J. Malécha

L’impact écologique et économique de ces introductions est très généralement sous-estimé. Ces espèces interviennent négativement dans les écosystèmes indigènes de diverses façons :
- par compétition avec les espèces autochtones
. C’est le cas de l’introduction de la Perdrix rouge qui occupe les mêmes territoires que la grise, espèce emblématique de notre région et dont les populations sauvages doivent être préservées comme le prévoit d’ailleurs le Schéma Dépar-temental de Gestion Cynégétique élaboré par la Fédération Départementale des Chasseurs du Nord. Cette espèce souffre beaucoup de l’impact de l’agriculture intensive qui prive les adultes de ressources alimentaires une partie de l’année (graines des plantes adventices) et de lieux de nidification favorables. Les jeunes sont privés des insectes indispensables à leur survie les deux semaines qui suivent leur éclosion. Elle se maintient grâce à l’action de chasseurs responsables qui lui apportent des compléments alimentaires et limitent les prélèvements par la chasse. Au cours de l’année 2010, plusieurs cas de nidification de la Perdrix rouge ont été observés, ce qui est le signe d’un début de naturalisation de l’espèce. L’administration et les milieux cynégétiques minimisent ce problème en disant qu’un hiver rude fera disparaître les individus non tués à la chasse. Il s’agit là d’une affirmation sans fondement, basée sur l’idée que les conditions climatiques de notre région sont défavorables à l’installation de la Perdrix rouge, ce qui est démenti notamment par le fait que cette espèce s’est installée avec succès depuis le 18ième siècle dans certaines régions de Grande Bretagne. La réintroduction régulière de nouveaux individus pour la chasse est un élément très favorable à sa naturalisation. De plus les conditions de l’environnement ne sont pas uniformes sur l’ensemble de notre région et certains secteurs peuvent se révéler être des habitats propices à l’espèce. L’impact de cette naturalisation sur la Perdrix grise est pour l’instant imprévisible. Cette dernière n’a jamais été en contact dans notre région avec la Perdrix rouge et n’a donc pas développé de mécanismes pour se défendre contre ce nouveau compétiteur.
- par prédation. Les prélèvements importants effectués par les Faisans communs et vénérés sur les populations de batraciens et reptiles sont bien connus. Cependant l’impact des oiseaux
chassables allochtones sur l’ensemble de la biodiversité est très mal documenté. En effet l’attention des chercheurs a surtout porté sur les méfaits plus directement visibles des mammifères introduits : rats, rat musqué, ragondin...
Un aspect très différent lié à la prédation est que ces espèces d’élevage sont issues d’un milieu protégé et ne sont généralement pas très bien armées pour échapper aux prédateurs. Ce fait
est bien connu des chasseurs, ce qui explique leur unanimité pour l’inscription d’un maximum d’espèces sur la liste départementale des nuisibles bien que la protection du gibier ne soit pas une cause légale justifiant un tel classement. La destruction des espèces autochtones qualifiées de « nuisibles » n’a aucune justification scientifique et va à l’encontre de l’intérêt des agriculteurs.
Il s’agit d’une pratique d’un autre âge mais qui est défendue par les piégeurs/chasseurs car celaleur permet d’exercer, en outre, pendant toute l’année, une activité de chasse de loisir sous le couvert d’une justification d’intérêt général.
- par la transmission de maladies. Les oiseaux issus d’élevages apportent dans les milieux où ils sont introduits des parasites et des germes pathogènes dont la virulence peut avoir un impact non négligeable sur la faune sauvage. Dans les élevages l’utilisation d’antibiotiques est à l’origine de la sélection de souches pathogènes contre lesquelles les animaux sauvages ne sont
pas immunisés.
- par altération génétique par hybridation. Ce problème est très grave dans notre région pour la Perdrix grise. Les animaux d’élevage de cette espèce sont issus de souches sélectionnées de longue date pour leur capacité à se reproduire dans un espace restreint et en présence de l’homme. Or lorsqu’on tente d’élever une espèce sauvage on constate que peu d’individus sont capables de s’adapter à de telles conditions. Ces quelques individus sont la souche des élevages et on constate en peu de générations la sélection de caractères favorables à cette situation, caractères qui peuvent constituer un sérieux handicap dans la nature.

La Perdrix rouge pose, elle, un problème de « déspéciation ». En élevage cette espèce a été hybridée avec la Perdrix choukar originaire du sud-est de l’Europe et d’Asie. Ces oiseaux hybrides se sont reproduits avec les autochtones et il n’y aurait donc plus de souches pures de Perdrix rouges dans la nature et dans les élevages français ( P. Athanaze 2011). Compte tenu de l’impact négatif et totalement sous-estimé de l’introduction dans la nature d’espèces chassables issues d’élevage sur la biodiversité, de l’évolution de plus en plus marquée vers une chasse commerciale au mépris de la préservation de la faune autochtone, la Fédération Nord Nature Environnement avait transmis au préfet un avis défavorable pour la prolongation de la chasse aux faisans jusqu’au 20 février 2011. Ses représentants ainsi que ceux du Groupe Ornithologique Nord mènent un combat incessant au niveau des Conseils Départementaux de la Chasse et de la Faune Sauvage du nord et du Pas-de-Calais pour que cessent ces pratiques.

Bibliographie et pour en savoir plus
- Fédération départementale des chasseurs du Nord, 2009. Schéma départemental de gestion
cynégétique. 122p.
- Athanaze, P., 2011. Le livre noir de la chasse. Ed. Sang de la Terre. 283p.
- Pascal, M., Lorvelec, O., & Vigne, J.-D., 2006.
Invasions biologiques et extinctions. Ed. Belin. 350p.
Sol, D., Blackburn, T., Cassey, P., Duncan, R. & Clavell, J. 2005. The ecology and impact of nonindigenous birds. In Handbook of the birds of the world. Ed. Lynx, Barcelone. Vol. 10, p. 13-35.

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