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AMBLETEUSE : QUELQUES REFLEXIONS AUTOUR D'UNE
OPERATION IMMOBILIERE MASSIVE

 

Article de J. Méreau parru dans le bulletin n°90 en 1998

Le projet

Le site : au fond de la baie de la Slack, sur le sommet de l'ancienne falaise qui formait le rivage avant les travaux ordonnés par Louis XIV, donc visible de toutes parts.

Terrain de 2, 3 hectares. 122 logements répartis sur une trentaine d'immeubles alignés comme ceux de " La Naturelle " qui donne à Wimereux une célébrité définitive. L'auteur est d'ailleurs Progifrance, qui a repris La Naturelle (en conservant ce nom ridicule) après le scandale initial. Avec une telle référence, la population et la presse, pourtant peu sensibles aux problèmes de paysage, se sont violemment émues.

Prévision financière : 60 millions de F. Prévisions esthétiques : vue bouchée pour les promeneurs du haut; vue souillée pour les promeneurs du bas et les visiteurs du Fort, très sensibles au panorama sur l'estuaire encadré d'un côté par la ville et la campagne, et de l'autre côté par les dunes de la Slack.

Au POS, ce terrain est une zone 40NAb affectée à des structures d'accueil touristique. Le promoteur a donc mis dans son projet un petit immeuble pouvant servir de restaurant et la possibilité, pour les futurs propriétaires, de louer des locaux pour les vacances.

Prévisions biologiques : 120 logements = 300 personnes au moins qui vont surcharger le réseau d'épuration déja insuffisant, comme le démontre l'affaire des moules.

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Ce nouveau projet d'urbanisation d'Ambleteuse a été officialisé par une réunion sur invitations à l'initiative du Maire, Madame Hennebelle, le 6 Février.

La présentation du projet par le promoteur lui-même a été fréquemment interrompue par des observations (souvent justifiées) des membres de " l'opposition " qui ont aussi pris à partie Mme Hennebelle. Le Maire s'est borné à répondre que "ce n'était qu'un projet" ... hélas, bien avancé, semble-t-il, car il ne reste plus qu'à demander sans délai le permis de construire : il sera probablement signé, puisqu'il semble, à première vue, conforme au POS. Quant aux adjoints, ils n'ont jamais rien dit.

J'ai attendu la fin pour prendre la parole et personne ne m'a interrompu. J'ai fait les deux observations qui s'imposaient :

* Contrairement à ce qu'affirme le promoteur, plans et formes sont bien ceux de la " Naturelle " avec disposition en coron. Je lui ai d'ailleurs dit qu'il ferait bien de changer, à Wimereux, ce nom ridicule et provocateur. Seuls diffèrent l'habillage et les couleurs. Or, c'est surtout la masse des bâtiments qui apporte le préjudice esthétique et qui va fermer l'horizon, ce qui est intolérable à cet endroit étant donné la covisibilité vis à vis du Fort et du chemin de la rive gauche de la baie de la Slack. Mais il y a plus grave que le préjudice esthétique :

* L'affaire des,moules a confirmé l'insuffisance générale des stations d'épuration du littoral, l'échec de l'usine de désinfection des moules, et l'échec de l'interdiction de cueillette (interdiction qu'il a fallu abandonner discrètement à la suite de pétitions, procès, etc ... ) Nos feuillets d'information avaient prévu entièrement cette évolution. Dans ces conditions, les services de l'Etat devraient avoir la possibilité de prononcer un moratoire à tous les projets d'urbanisation massive sur les communes littorales. Il n'y a probablement rien de prévu pour une telle procédure d'exception. Mais il faut en étudier d'urgence le principe et les modalités d'exécution car nous ne pouvons pas compter sur les maires qui pourraient cependant prendre la décision . C'est pourquoi la responsabilité des autorités de tutelle est engagée plus que l'on ne pourrait croire. L'affaire des moules polluées remonte à 1983 : elle est donc passée à la chronicité, même si une relative amélioration permet par moments de faire semblant de l'ignorer jusqu'à la prochaine alerte.

J'ai fait le nécessaire auprès de la DIREN, je continue auprès des autres services de l'Etat.

Quelques Ambleteusois viennent de fonder une association " SOS BAIE DE SLACK ". Chaque village a maintenant son association particulière de protection de son milieu naturel. Ces groupements peuvent influencer les maires à condition de recruter une forte majorité d'électeurs. Dans le cas contraire, ou bien ils disparaissent quand le problème est oublié, ou bien ils sont récupérés. La presse a publié l'évènement, faisant allusion à un POS remanié pour les besoins de la cause sans information de la population.

En réalité, il y a bien eu une information réglementaire (c'est à dire minimale) sur la révision du POS avec enquête publique. Sur le cahier d'enquête, quelques personnes ont déposé des réclamations ne concernant que leur cas individuel. J'ai été le seul à approuver les nouvelles zones ND et à contester l'excès persistant d'urbanisation. Cette révision a donc été conforme aux dispositions légales et le Préfet l'a approuvée, de sorte que la position du Maire est très forte, à moins qu'une enquête approfondie révèle une irrégularité.

J'ai communiqué le dossier à la DIREN, mais comme la "décentralisation" a réduit les possibilités d'intervention des services de l'Etat

compétents en géomorphologie et en biologie, je crois qu'il sera très difficile de neutraliser cette opération.

Si elle réussit, nous pourrons y voir une nouvelle démonstration des conséquences d'une réforme qui est utile dans certains cas, mais dont le principal effet, en matière de protection du patrimoine et de la santé publique, est de donner aux maires des responsabilités qui dépassent leurs connaissances scientifiques, et de les livrer aux industriels de l'immobilier sans aucune possibilité de résistance.

 

Cette affaire ne doit pas être considérée comme un problème local. Toutes les municipalités du littoral sont soumises à la pression des promoteurs, et même, parfois, les attirent. Elles ne peuvent apprécier que l'apport financier immédiat des impôts locaux; elles sont peu sensibles au préjudice esthétique et biologique, elles ignorent les risques géographiques d'érosion , alors que tout porte à penser que l'urbanisation accélère le recul du rivage. Or nous connaissons plusieurs projets réalisés sans ouvrage de protection. : le principe est construire d'abord, et demander ensuite des subventions pour la défense contre la mer. Quant à la pollution bactérienne, et à plus forte raison la pollution chimique, il est plus simple de la nier puisque le baigneur ne la voit pas et puisque la baignade est autorisée dans les eaux de rivage même en sachant que les coquillages destinés à l'alimentation la reconcentrent dans leur organisme. L'attribution des pavillons bleus entretient la confusion.

Les municipalités doivent donc être protégées contre elles-mêmes. Sur le plan administratif, il est normal qu'elles soient considérées comme des personnes majeures. Mais sur le plan scientifique, cette affaire démontre que cela n'est plus possible. La restauration d'une autorité de tutelle est indispensable pour deux raisons précises :

 

1. Biologie : Il ne reste plus assez de surfaces de dunes et d'estuaires en Manche Orientale pour assurer l'entretien du milieu de vie. Le peu qui reste est biologiquement indispensable. Il ne faut plus y toucher.

2. Erosion : Toute nouvelle opération immobilière sur une zone littorale est inconsciente si elle ne comporte pas à l'origine un ouvrage sérieux de protection contre l'érosion : or, ni les promoteurs, ni les futurs propriétaires ne sont capables de payer de tels ouvrages de sorte que la charge revient toujours aux collectivités, donc aux contribuables dont la majorité, qui n'a pas les moyens d'acquérir une résidence secondaire, n'est pas concernée par l'opération.

En conséquence:

Il doit être rendu aux services de l'Etat la possibilité de refuser toutes les demandes de permis de construire dans les dunes, sur les rives d'estuaires, et à proximité des bords de falaises, même si le Maire a donné sa signature.

Toutes les zones de dunes et d'estuaires avec leur domaine maritime attenant doivent faire dès maintenant l'objet d'une inscription d'office par proposition de la DIREN et décision du Ministère de l'Environnement.

Les POS des communes littorales doivent être revérifiés en fonction des risques géographiques et biologiques.

Les arrêts du Conseil d'Etat ne sont pas contestables sauf, croyons-nous, s'ils comportent une erreur scientifique. C'est le cas des textes où l'on définit que la " limite haute du rivage " est la laisse de haute mer, alors que limite haute ne peut désigner que le bord de la falaise et non la base. Il faut rechercher si des arrêts de ce genre peuvent encore faire jurisprudence.

 

Pour le cas d'Ambleteuse

1. Demande d' Inscription d'office de tout le front de mer, depuis l'extrémité Nord de . la digue promenade (dite "boulevard de la Liberté" ) jusqu'à l'Ecluse Marmin au fond de l'estuaire de la Slack. La Baie de la Slack est déja classée en Site, mais la protection s'arrête à la limite du domaine public maritime. Rappelons que l'inscription n'interdit pas toutes les constructions, mais qu'elle exige l'approbation par le service d'Architecture ou la Commission des Sites. Il n'y a pas beaucoup de villas vraiment intéressantes du point de vue architectural, mais il n'y a pas encore d'immeubles de rapport type Hardelot, et c'est cela qu'il faut empêcher.

2. Révision complète du POS compte tenu des vestiges archéologiques et patrimoniaux (fortifications du XVI' siècle sous les sables en zone actuellement urbanisable). Intérêt majeur pour l'avenir.

3. Remplacement du périmètre circulaire de protection du Fort Vauban par une ZPPAUP réglant les problèmes de covisibilité.

4. En attendant, essayer de neutraliser l'opération immobilière en cours étant donné son caractère massif : de toutes façons, " ce n'est qu'un projet " dit le Maire.

Ambleteuse a fait le plein d'urbanisation. Il reste à préserver, les témoins de son Histoire aussi prestigieuse que méconnue. Elle a juste encore assez d'éléments pour devenir le modèle de la station de tourisme culturel à la portée de toutes les bourses, à condition qu'elle cesse de dilapider un   patrimoine d'intérêt national pour des bénéfices illusoires.

 

Quelques exemples

Les Amis du Fort d'Ambleteuse ont donné beaucoup de leur temps et de leurs ressources à des causes qui étaient jugées perdues d'avance, telles que :

-- Le classement des dunes de Wimereux et de l'estuaire de la Slack, malgré l'opposition des communes en Conseil d'Etat (1973).

- La réfutation en totalité du " Rapport Mangin " qui prétendait justifier le barrage du Touquet, après quoi (ou à cause de ?) le Conseil Général du Nord a retiré sa participation financière, rendant impossible le démarrage de ce projet ridicule.

- Le projet de Parc nucléaire dans le site inscrit du Gris Nez : Initialement prévu entre Hardelot et Sainte Cécile, et envoyé par les hommes politiques du coin à Audinghen. La suite n'est pas complètement oubliée...

- Le projet de camping-caravaning géant pour 1200 personnes, avec doublement sur la partie Est du Pré Communal, soutenu par une étude d'impact - élaborée sous l'égide du Ministère de l'Environnement. Nous avons démontré que tous les points de cette étude étaient grossièrement erronés. Etude et projet furent retirés in extremis alors que les autorisations avaient été accordées.

- L' usine pour désinfecter les moules dans le site classé de la Baie de la Slack : Notre feuillet d'information n' 14 (1983) permit de repousser ce projet et de prévoir... tout ce qui est arrivé par la suite.

- Le projet de Port-Touquet notre feuillet d'information n' 27 a démontré l'insuffisance des études sur maquettes. projet suspendu, mais certains en rêvent toujours, sans oublier le barrage.

Mais nous n'avons pas eu que des succès

-_ Pré communal d'Ambleteuse : alors que le dossier était passé à l'enquête publique, le conseil municipal a refusé le classement " pour ne pas se laisser lier définitivement les mains". Il a finalement accepté une réserve naturelle volontaire à condition qu'une parcelle soit affectée à un " parc d'activités " qui attend toujours les amateurs.

-- Tentative de micro-lotissement derrière le Fort Vauban : La commune ayant été condamnée au Tribunal administratif paya (cher) un avocat qui réussit à faire débouter Nord-Nature et les AFA au Conseil d'Etat sur un motif fallacieux. Mais finalement, le promoteur fit faillite. Justice immanente ?

-- Site des Caps : Les communes ont fait traîner le classement. Un jour, Eurotunnel a obtenu la dérogation pour mettre ses déblais sur le Fond Pignon. Alors, on a enfin accepté le classement de ce qui restait.

 

Il est de plus en plus difficile d'obtenir des protections capables de limiter l'extension abusive de l'urbanisation en zone littorale. En effet, depuis 1978 -80, c'est devenu une coutume d'abandonner une procédure de classement si le Maire la refuse. Mais ce n'est qu'une coutume, car la loi permet toujours au Ministre de poursuivre la procédure et de signer le décret de Classement d'Office, s'il ne veut pas ridiculiser les services de l'Etat qui ont demandé la protection.

Dans la situation actuelle, la "formation" du publie au respect du milieu de vie est une hypocrisie. Ce sont les " décideurs " qu'il faut d'abord former, de toute urgence.

 

DESTRUCTION D'UN PAYSAGE

Un malheur ne vient jamais seul. AV pied du fort Vauban,,Ie chenal du port de Louis XIV avait été remblayé par &$à déblais extraits du port de, Napoléon et, en 1890, l'érosion avait déja repris las deux tiers de ce remblai. On construisit quand même quatre villas qu'il fallut protéger par un perré. Les villas furent détruites en 1940 mais le perré résista jusqu'en 1960. On le remplaça par un mur de béton, qui, conformément à nos prévisions, s'enfonça comme un vulgaire blockhaus. A la fin de Janvier 98, l'érosion progressant de plus en vite, on empila n'importe comment, sur les débris des deux ouvrages, des blocs d'enrochement de 2 à 4 tonnes surmontés par un terril en concassés noirâtres. Quinze jours plus tard, cet " ouvrage " est déja affouillé. Inefficace, dangereux, affreux, Il faudrait I'éliminer le plus rapidement possible, mais cela va coûter beaucoup plus cher que sa " construction ". Le jeu des eaux affouille déja par dessous le remblai de sable et de concassés. Les enrochements, une fois descendus sur l'estran, risquent fort d'y rester longtemps...

En haut: au premier plan, les ruines de l'ancien perré; au second plan, les débris du mur de béton; au fond : paysage d'urbanisation incohérente que la réalisation du nouveau quartier fermerait complètement.

En bas : l'empierrement en blocs de calcaire carbonifère surmonté Cie son terril. Achèvement de la destruction d'un paysage qui fut d'une beauté exceptionnelle. Témoignage d'insuffisance de crédits, de mauvais goût, d'ignorance des mécanismes complexes d'érosion, de mépris des lois et des services de l'Etat qui tentent de conserver un patrimoine dont il ne restera bientôt plus rien s'il n'intervient pas rapidement une réforme sérieuse, non dans les textes, mais dans les attitudes.

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