nn1.gif (2843 octets) Chronique d'une inondation annoncée 1/3

Florent Lamiot

 

 

Plusieurs personnes, suite notamment à un article de la Voix du nord reprenant quelques uns de mes propos, ou sachant que j’avais pris des photos et écrit mes impressions sur les violentes inondations de l’Aa fin février 2002 m’ont demandé si je pouvais leur fournir mes notes. Je le fais bien volontiers, mais je préviens le lecteur que ne n’ai pour une fois pas séparé mes impressions personnelles d’une analyse que j’espère lucide et technique du problème. Ceci fait que certains épisodes pourront paraître confus à ceux qui ne les ont pas vécu, mais ce sera j’espère l’occasion pour ceux-là même de comprendre mieux la détresse des sinistrés qu’il seront peut-être bientôt, notamment si les modifications climatiques globales se traduisent par des pluies plus violentes et plus fréquentes… voire une montée des océans plus rapide que prévue, qui pourrait dans la région noyer bien des gens et des industries qui se croient à l’abri.

Ce qui suit n’a pas d’autres prétentions et n’engage aucunement la collectivité pour laquelle je travaille. Il ne s’agit ni d’un rapport officiel, ni d’une analyse exhaustive. Pour autant si l’écriture en est subjective, je pense que le fond est assez objectif et ne traduit rien d’autre que ce que j’ai vu avec mes yeux et entendu avec mes oreilles, interprété au filtre de ma très modeste expérience de la question..

Je n’ai pas eu le temps de bien relire, merci de pardonner les maladresses ou inexactitudes que contiendrait éventuellement ce texte..

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Samedi 02 mars 2002, tard le soir. Impossible de dormir. Je rassemble et complète mes notes et les souvenirs de cette longue journée et de la soirée d’hier. Sur le clavier de mon ordinateur, j’écris :

Face à des évènements difficiles, mais annoncés et prévisibles, on déteste ne pas pouvoir agir, ou ne plus pouvoir agir sur son environnement.

Quand une catastrophe parfois annoncée, souvent pressentie arrive, plus grave et plus rapidement qu’on ne l’attendait, et qu’on voit qu’elle aurait pu faire beaucoup de morts, sur des dizaines de communes, des milliers d’hectares, et qu’on a l’impression d’avoir évité le pire – presque un miracle - mais que la prochaine pourrait être bien plus grave, par ce qu’il n’y a aucune raison qu’elle ne le soit pas… Quand on voit que quand on en parle, certains responsable se détournent, s’éloignent ou font tout pour changer de conversation, ou encore, face à l’évènement, déploient une activité inutilement fébrile, ou simplement nient l’évidence.. Quand on propose de montrer à des journalistes autre chose que le drame, par exemple des éléments d’explication et qu’on a l’impression que c’est le malheur qu’on veut filmer et non ses causes, quelque chose se produit.

Intérieurement, j’enrage, je peste et vitupère. Je bouillonne.. Il est près de minuit et j’ai passé une des journées moralement les plus épuisantes de ma vie. Je suis glacé et je tremble… plus de colère que de froid. Je relis mes notes, car dès hier soir j’avais décidé de tout noter, et je vais regarder les photos prises dans la journée.

Je ne crois pas être particulièrement désespéré, ni las, bien que comme les autres habitants de ma petite commune, de temps à autre dans la journée, je me suis arrêté, le regard dans le vide, hébété, l’esprit embué, " stone " ou au bord des larmes. J’ai été élevé comme un garçon qui ne doit pas pleurer, sauf à la rigueur aux enterrements. Fatigue ? décompensation ? Tout ça est un peu confus dans mon esprit.. Respirer doucement, calmement. Réfléchir rétrospectivement.

Je vais regarde les photos que j’ai prise pour comprendre plus tard.. et pour avoir une trace..

Je suis d’un naturel doux. Pas de haine, pas de violence ciblée, ni personne à vraiment accuser nommément (encore que..) Pas d’institutions à accuser spécifiquement directement.

Je sens quand même que certains sont plus responsables que d’autres.

J’alterne depuis ce matin entre sentiment de gâchis, nausées, solidarité, besoin de hurler ou de pleurer.. hyperactivité et phases d’abattement. Je pleure de temps en temps parce que ça vient tout seul et que ça fait du bien.. Je me retiens devant les autres, parce que ce serait indécent ; la plupart ont perdu beaucoup plus que moi, certains ont failli mourir. Peut-être y a t il des morts, ou y avait il des gens en train de se noyer pendant que je prenais des photos et que je donnais de petits coups de main, stupéfait, sidéré, incapable de faire plus ou de prêter main forte à une cellule de crise introuvable.. Tout ça était tellement prévisible, et pourtant si inattendu.

On a agit physiquement, pour agir, pour se réchauffer, pour sauver quelque chose, pour supporter, pour sauver les gens et les biens, avec le plaisir très réconfortant de la solidarité (riches pauvres vieux jeune, enfants, élus, techniciens du gaz ou d’EDF. on est tous redevenu pareils), et tout en s’activant, on pensait..

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Pourquoi ? Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?

Là, vraiment, il y a un petit quelque chose de " trop ", en tous cas pour moi.

Oserais-je dire que c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? la vase ? (Ca va, tout n’est pas perdu, il me reste un peu d’humour)..On est tous dans le même bain, mais, plus ou moins quand même.

Bêtise humaine, lamentables accumulations de petites stupidités, 100 ans d’additions de vraies fausses solutions, de compromis parfois puants ou parfois honnêtes et nécessaires, décisions véreuses ou vénales, tromperies, petites lâchetés, compromis mesquins ou politicards, montagne de petites égoïsteries bêtes et courantes accumulées.. Cumul à la Prévert de naïves ou feintes innocences que l’on pourrait pardonner, mais qui à force d’accumulation produisent des catastrophes. Crétinerie administrative ? (j’exagère, je le sais, pour moi-même travailler dans une administration, et avec d’autres collègues d’autres administrations dont la DIREN et l’Agence de l’eau dont je pense sincèrement qu’ils font et que nous faisons presque tout notre possible… pour la plupart au moins.. Jusqu’à nous épuiser parfois en manquant même de 35 h de sommeil par semaine.. Néanmoins, vu d’ici, quand on a senti le vent du boulet, ça ressemble à de l’incompétence des administrations et s’il y avait dans les heures ou jours qui viennent des réactions un peu vives, je les comprendrai.. Le vent du boulet on l’a bien senti. Certains l’avaient senti arriver, avaient tenté de prévenir. Et pour ceux qui ne l’ont pas vu venir, difficile de penser que quelqu’un ne l’a pas " tiré ". Chacun à l’impression de sentir qui et quoi sont causes de cette catastrophe, je l’ai senti au cours des conversations de ces dernières heures.

Peut être sous le coup d’une colère froide ou de la peur rétrospective.. Je tremble toujours, j’égratignerai tout le monde, moi y compris. Merci de me pardonner. Devrais-je être moins indulgent pour des administrations et institutions (DDE, DDA, DRIRE, DRAFF, que j’estime pour partie responsables de graves et persistantes accumulations erreurs.. J’aimerai aussi que mes amis de l’Agence de bassin et du parc dit naturel et régional fassent encore plus et mieux.. Où sont elles les zones humides et les corridors biologiques et bandes enherbées et autres dispositifs que nous appelons de nos vœux et que l’on vante dans les chartes, plaquettes et autres articles ? (oui, je sais, pas si facile.. Je suis même bien placé pour savoir..).

A moins qu’il ne s’agisse des grands élus qui ont bien accepté de voter la LOADDT, de préparer les schémas de services collectifs (dont une des 5 priorités est la maîtrise des risques naturels). Deux outils qui prennent enfin concrètement en compte l’environnement, plein de très bonnes résolutions mais presque inapplicables sans le soutien des puissants ministères du Budget, des transports et de l’agriculture (mais où est le budget prévu pour le fameux réseau écologique national que la France aurait du avoir cartographié pour l’an 2000 et qu’elle devrait être en train de construire avec le monde agricole et les collectivités  ?). C’est bien de dire qu’on donne de l’argent aux DIREN (en sous effectif, comme les DRIRE eu égard aux besoins), mais si c’est sur des lignes où les demandeurs de subvention doivent apporter 50 % ça n’aide pas toujours, pendant que dans d’autres ministères on subventionne quasiment à 150 % (je me comprend) des aménagements destructeurs d’environnement avec des budgets infiniment plus conséquents.. Si je dit que le budget de fonctionnement du ministère de l’environnement est équivalent ou inférieur à celui des jardiniers de la ville de Paris.. Je me trompe ?

Et les communes ? Elles les gèrent comment les eaux pluviales ? …quand elles les gèrent. Et les parcs naturels ? Ensemble ou avec le monde agricole, combien d’ha de zones humides et/inondables nouvelles avons-nous créé depuis 10 ans ? ou depuis 20 ans ? Combien en avons-nous perdu ?

Le chiffre est négatif. On en crée beaucoup moins qu’il ne s’en perd annuellement. Et sauf erreur de ma part, on est passé de 30 % du territoire il y a quelques siècles à 0,8 % d’après la dernière image satellite. Alors qu’on prépare le bilan de " RIO + 10 ", Beau bilan ! Rio.. Vous vous souvenez, le sommet de la terre où pour la première fois les élus de tous pays s’engageaient à lutter contre l’effet de serre, l’avancée du désert, le recul des vraies forêts et pour la Biodiversité ; la ressource des ressources, la source de toute nourriture et eau potable…

Que penser de la loi sur l’eau (dont sont exclues les installations classées si je me souviens bien. Je me trompe ?), et que penser de directives européennes favorables à l’environnement, mais non appliquées…

Tout ça malgré les gens réellement honnêtes et dévoués qui y existent comme partout, que je remercie au passage. Mais je suppose que les coupables par omissions ou par compromis ont aussi leurs excuses, leurs raisons, et à leur décharge, il faut dire que les ingénieurs en sciences dures et froides qui les constituent ou les éclairent, souvent n’ont pas reçu la formation qu’il leur faudrait pour protéger l’environnement et donc les gens. Pétri de physique et de chimie, ils sont moulés dans les grands corps ou les écoles d’ingénieurs. Ils ont un cœur certainement, mais le biologique, l’altérité écologique leur sont souvent obscur ou étranger, je le sens bien. 20 ou 25 ans de formation inconsciemment mais presque exclusivement basée sur la compétition, les tuyaux, la compétitivité, le béton précontraint, le respect aveugle des dogmes, dont celui de la Nature inépuisable et corvéable à merci, ça laisse des traces.

Certains, heureusement de plus en plus rares, ont du mal à comprendre qu’il y ait un lien direct entre la protection de la nature, les remembrements, l’imperméabilisation, la disparition des zones humides (ces zones boueuses et malsaines qui attirent les moustiques et les grenouilles gluantes, et qu’il faudrait assainir) et les jets d’eau qui sortaient des trous de prises de courant ou des WC et des plaques d’égout, en emportant des murs, des pans entiers de trottoir et de bitume et des milliers de tonnes de terre avant-hier… alors que - et j’insiste sur ce fait - les hauteurs du bassin versant, à quelques centaines de mètres étaient localement plutôt nettement et incroyablement plus sèches qu’en temps normal à cette époque il y a 10 ans encore (je peux démontrer témoignages et photos à l’appui).

Ces ingénieurs ont bien entendu toute leur place dans cette société techniciste, mais est-il normal, moral et acceptable qu’il n’y ait que 2 ou 3 écologues pour 4 millions d’habitants dans les administrations d’une région où le risque industriel, Sévéso, d’érosion, d’inondation sont respectivement majeur, localement très importants et plus élevés qu’ailleurs. Ces écologues étant parfois formé sur le tas plus que par de bons enseignants qui pour certaines disciplines (systématique) n’existent même plus.

Il me semble avoir même entendu dire que les concours d’ingénieurs territoriaux seraient bientôt fermés aux DESS environnement, et exclusivement ouverts aux ingénieurs matheux, physiciens et chimistes. Si c’est vrai ce sera pire et l’enfer sera tiré au cordeau , et plaqué or de bonnes intentions, car hélas (et heureusement) un écosystème ne se modélise ni ne se répare comme un paquets de tuyaux, câbles et boulons. Ce n’est pas la nature qui se venge comme je l’ai entendu dix fois au moins hier, c’est simplement qu’en pissant et crachant contre le vent… on récolte se qu’on a semé..

Je sais que nous sommes tous responsables de ce genre de catastrophe. J’ai moi-même pris la voiture à effet de serre pour éviter le soucis de prendre le train, alors que j’aurais pu mettre mon vélo gratuitement dans le TER et circuler dans l’eau en me fatiguant moins et en prenant moins froid.

Chacun y va de son explication. La mienne ne vaut peut être pas plus que les autres, mais il faut que ça sorte, sinon il va falloir que je casse quelque chose (pourquoi pas l’Atlas des zones inondables de la vallée de l’Aa, financé par la région et la DIREN, pour parer à l’incurie d’autres services… A peine terminé, il me donne l’impression d’être bon à refaire tant la situation et le risque semble rapidement empirer.. je détaillerai plus loin)

Je me souviens encore d’un responsables régional important de l’agriculture, qui suite à une intervention que j’avais faite sur l’importance des zones humides, des réseaux de haies, talus, mares et fossés, notamment pour la lutte contre les inondations et l’érosion des sols lors d’un colloque national, est venu me voir en me disant que quand même j’exagérais, que la nature avait une facilité naturelle de cicatrisation. Il m’accusait de catastrophisme et de tenir un discours pessimiste qui nuisait à l’image de ma région.. Détruire un peu les zones humides, accélérer un peu plus les flux, drainer est la condition du progrès me laissait il entendre. Et d’ailleurs c’est la faute des gens qui ne veulent pas payer leur pain plus cher.

Leur pain, ils le payent en réalité bien cher en dégâts différés, les gens, je trouve.. !

Et un autre qui disait lors d’un remembrement : " A l’ère d’Internet, je ne comprend pas que tous les fossés ne soient pas encore tubés ". ou un autre encore qui disait à un agriculteur voulant conserver ses zones humides : " Mais monsieur X, il faut sortir de chez vous, sortir de vos petites fleurs et de vos petits oiseaux ! On n’est plus au moyen âge, vous voulez revenir à l’époque de la bougie ?! ". Et en ce moment : remembrement d’Hazebrouck. Dans le même temps, sans tenir des conseils écrits du Directeur Régional de l’Agriculture, et contre la volonté de deux petits agriculteurs qui veulent conserver haies, talus, mares et herbages, certains veulent à tout prix araser ce qui reste du paysage végétal semi-naturel, avec le soutien de la commission de remembrement, ce qui accélèrera l’eau vers Hazebrouck, où l’on s’apprête déjà en aval à tuber la rivière, au nom de l’environnement et de la qualité de vie, bien entendu.. Chronique récidiviste et environnementalement criminelle d’une catastrophe annoncée..

Ailleurs, ce sont les mêmes qui depuis 30 ans vont voir les agriculteurs d’abord pour leur vendre, clé en main, et subventions sur un plateau, les drains qui doivent améliorer les rendements, puis quelques années après, lorsqu’il n’y a plus assez d’eau, qui reviennent avec clé en main, et subventions sur un plateau les systèmes d’irrigation nécessaires en raison du manque d’eau… avant de les aider à remplir les déclarations pour " catastrophes naturelles " ?.

Pourquoi depuis 1992, seul le Conseil régional a refusé de financer ce genre de travaux à moins qu’il fassent l’objet de véritables études d’impacts et de justes mesures compensatoires ?.. Depuis cette décision, la Région n’est plus sollicitée.. On demande l’aide d’autres collectivités moins regardantes sur les impacts… Il y a 3 ans, on estimait à 6 millions d’ha la surface agricole récemment drainée en France. (car ça a commencé au moyen âge et bien avant). Depuis 970, on est passé de 600 000 ha à 3 millions d’ha drainés (en France métropolitaine).. Elle part où toute cette eau ? Et elle entraîne quoi sur son passage ?

J’enrage, car avec les associations locales et régionales de protection de la nature, je fais partie des gens qui décrivent, dénoncent et annoncent ce type de catastrophe, clairement me semble–t-il, depuis des années. Et ça m’épuise, et ça m’exaspère. D’autant que les aménagements cosmétiques ou inutiles (coûteux si possible), l’agriculture intensive, le comblement des marais, le drainage, l’imperméabilisation, etc. continuent de plus belle depuis 20 ans, même si un peu plus discrètement depuis 10 ans, mais avec des moyens techniques et financiers renforcés, et bien entendu avec toujours la meilleurs volonté du monde et avec de bonnes excuses... Je fais partie de la très petite minorité qui va assez souvent aux enquêtes publiques. Sur certains dossiers j’étais le seul à avoir écrit quelque chose, ou à avoir vu le commissaire enquêteur. Pour des raisons professionnelles, j’ai eu à analyser un certain nombre de dossier d’études d’impacts, et j’ai pu mesurer a posteriori les déficiences, et l’insuffisances systématique des mesures conservatoires et compensatoires, même sur de grands dossiers routiers, industriels ou commerciaux pour lesquels l’argent n’était même pas un problème. 1% du prix de plus aurait souvent suffit à multiplier par 100 ou 100 1000 les mesures vraiment destinées à réparer l’environnement ou minimiser les impacts..

Les observatoires des impacts par exemple sur l’A 16 ou de la route du plateau d’Helfaut ne sont jamais mis en place, ou quand le principe en est pris, il ne fonctionne pas. Sur la mise à 2 x 2 voies de la RN2, qui est en fait une mise à 6 voies, les juristes du ministère de l’Equipement objecteraient me dit-on qu’on ne peut préempter de terrains pour les mesures compensatoires hors de la zone d’étude… Ce qui me semble en totale contradiction avec la loi de 76 qui dit en gros qu’on doit compenser tous les impacts quand c’est possible.

Comme par hasard, ce sont sur les champs captants et zones humides et inondables qu’on a voulu faire passer, que sont passés ou que doivent passer de nombreux contournements routiers (Lille cambrai et d’autres dont celui d’Heuringhem, juste au dessus de la zone la plus anormalement et exceptionnellement inondée ces derniers jours), avec des mesures compensatoires promises dont certaines n’ont jamais été mises en œuvre 10 ans après les travaux. Ailleurs ce sont les forêts pourtant connues pour leur rôle de puits de carbone et de rétention des eaux que l’on sacrifie (St Amand, Haie d’Avesnes, Forêt d’Hardelot.. val joly..) ou qu’on draine (forêt de Nieppe autrefois inondable et inondée plusieurs mois par an sur 30 % au moins de sa superficie) et presque totalement sèche en 1994.. Tellement sèche que les arbres et la forêt en sont malades... Ce faisant on n’a fait qu’exporter et exacerber les crues..

Mais le pire est dans les conséquences secondaires, avec notamment les remembrements dont les mesures conservatoires et compensatoires sont toujours dérisoires, si ce n’est grotesquement ridicules, qui ont souvent été de véritables " crimes contre-Nature " et désastreux pour une agriculture durable qui se cherche plus qu’on ne la trouve.

Selon Jean louis Guigou de la DATAR, on imperméabilise et artificialise au rythme des années 90 la surface moyenne d’un département français tous les 10 ans, et je vois bien que ce n’est pas dans le Cantal ou en Lozère que ça se passe. Un curieux prospectif a extrapolé les chiffres de la DATAR. Il fait le constat effrayant qu’au rythme actuel, dans 160 ans, la France sera entièrement couverte de routes, de villes et de périurbain.. Il n’y aura plus même de place pour l’agriculture.. Mais personne ne peut rien faire m’assure-t-on, tant sur le terrain local du bon sens près de chez nous, que dans les hautes sphères.

Chacun s’auto-amnistiant par avance ses petits excès, trouvant justifié sa petite dérogation, et ne tenant aucun ou presque aucun compte de l’état général de l’environnement qui se dégrade fortement, en particulier des sols qui perdent leur charge humique (souvenons nous comment ils étaient encore noirs et odorants jusque dans les années 60, et comme ils sont aujourd’hui clairs et sans consistance souvent)…Avec leur humus et leur vie ces sols perdent leur capacité à adsorber, absorber, épurer, stocker et infiltrer l’eau..

Des expériences simples de niveau CE2 le montrent.. Il suffit d’ailleurs simplement de sentir et de regarder. Ces sols qui sont le support et le produit du Vivant, s’enfuient, essentiellement dilués dans les eaux de ruissellement que rien ou presque n’arrête plus, à raison d’une épaisseur moyenne de 10 cm tous les 10 ans en moyenne et jusqu’à 100 t par an et par ha dans les zones les plus touchées (canche). Ce ne sont même plus les " écolos " qui le disent, c’est François Derancourt, spécialiste de la question à la chambre d’Agriculture, sur la base d’études claires et précises, et de démonstration spectaculaires dans le bassin de la Canche.

 

Par miracle, il fait très beau et les pompes tournent à plein. L’eau baisse régulièrement et est nettement moins boueuse. Mais certains disent que la météo annonce peut-être des pluies d’ici quelques jours.. Cette idée provoque en moi des bouffées incontrôlables d’angoisse..

Je ne parlerai pas des décharges qui depuis des siècles, mais beaucoup plus depuis 1914 ont comblé en toute priorité les zones humides et/ou inondables, ou les carrières dont certaines pourraient agréablement stocker, infiltrer et épurer certaines eaux superficielles et de ruissellement.. Presque chaque commune a sa décharge. Certaines en ont plusieurs, voire beaucoup.. Idem pour nombre de décharges industrielles privées..

Et ce jusque dans les parcs et réserves naturelles ! (il y a 5 réserves naturelles volontaires dans les communes touchées par cette inondation ou dans les communes jouxtant les communes les plus touchées par les inondations. Ces réserves ont été très péniblement arrachées par la DIREN et les associations de protection de l’environnement, presque toutes en compensation au passage d’une route (par exemple au travers des nappes perchées du Plateau " d’Helfaut à Racquinghem ".. Un arrêté préfectoral de biotope (le plus haut degré de protection administrative en France, en théorie) est sensé garantir la pérennité de ces zones humides, mais il suffit d’en analyser le périmètre pour sentir les compromis qui ont conditionné son acceptation. Ces 4 réserves pourraient et devraient stocker d’immenses quantités d’eau. Au contraire une grande partie de cette eau est évacuée vers les vallées.. Trop-pleins, drains, fossés excessivement curés et dévégétalisés, imperméabilisation… envoient l’eau en quelques minutes dans la vallée, là où elle s’infiltrait autrefois lentement dans le sol, là où elle sinuait lentement jusqu’à la rivière… Il y a eu plus d’une dizaine d’incendies de landes depuis les années 70 alors qu’il pleut plus sur le dit-plateau que dans toute la Flandre maritime, car il s’agit du premier relief interceptant les nuages à partir de la mer. Catastrophes naturelles ?

Les zones paratourbeuses à sphaignes (des plantes qui jouent le rôle d’éponge, qui stockent plus de 30 fois leur poids en eau, y compris les cellules mortes) bien que de grand intérêt écologique sont détruites par des apports de calcaire, drainées au profit d’étangs de pêches ou par les anciennes carrières proches ou par la baisse de la nappe induite par le passage de la nouvelle route. Des mares ont encore été récemment bouchées avec des déchets sur des zones exclues du périmètre des réserves naturelles.

Même s’il faut rendre hommage au travail récent des techniciens d’Eden 62 qui à Blendecques, Heuringhem, Helfaut et Wizernes, depuis 2 ou 3 ans s’efforcent de restaurer la situation (mais dans le seul périmètre des réserves naturelles où ils peuvent seulement intervenir), j’étais hier forcé de constater (photo à l’appui) que les anciennes zones humides du plateau drainées depuis plus de 10 ans, et peu à peu transformées en zones de loisirs ou en semi-jardin public étaient loin, très loin d’être saturées en eau. Je les ai vu bien plus pleine dans les années 80 / 90 tous les hivers – qui étaient bien moins pluvieux.

Si l’objectif est de permettre aux promeneurs de visiter les zones humides à pieds sec… on pouvait le faire comme nous l’avions proposé sur des platelages comme au Romelaere, ou sur du sable acide au lieu du calcaire de marquise, sans les drains qui n’ont jamais été déposés en dépit des suggestions écrites et orales, incessamment répétées de Nord Nature et des associations de protection de l’environnement.

Il faut que les Blendecquois et autres habitants de la vallée de l’Aa comprennent qu’en évacuant cette eau trop et trop vite ; outre qu’on favorise les sécheresses et incendies sur le plateau, on accentue la gravité des inondations en bas.

La seule carrière de Blendecques pour sa partie non comblée par les travaux de la route et l’ancienne monumentale décharge " communale " n’aurait-elle pas pu contenir un volume d’eau égal ou supérieur à ce qui a inondé les lotissements de Blendecques. Si chaque commune du bassin versant avait su ou voulu, comme le suggère le SAGE, aménager les bassins versant de manière à y freiner l’eau, au lieu de la chasser vers l’aval, nul doute que le niveau de l’eau comme autrefois aurait monté lentement, en laissant aux pompes et aux écluses le temps d’évacuer, car il a beaucoup plu, les nappes étaient très haute dans le haut artois, mais par rapport au siècle denier, le débit maximum de crue de l’Aa a été artificiellement plus que doublé !

Nombre de nos anciens marais pourraient être restaurés.. Qui aura enfin le courage de décombler les zones humides des déchets qu’on y jette depuis des siècles ? Faut il que les habitants aillent avec des brouettes sortir les déchets des anciens marais pour les amonceler devant les mairies, comme ils l’avaient fait il y a quelques années avec Nord Nature pour attirer l’attention sur les montagnes de déchets, parfois industriels et toxiques qui s’accumulaient dans les landes du plateau d’Helfaut à Blendecques et Heuringhem, dans une quasi indifférence générale. Une grande partie de ces déchets peuvent encore être retraités et réinjectés dans les filières de recyclage, ou pourraient au moins produire du méthane..

Il y aura toujours de violentes pluies locales, orageuses en général, qui produiront d’importants dégâts locaux. Il faut simplement s’y préparer, et ne plus commettre l’erreur grave de vouloir toujour drainer plus, curer plus, et élargir encore les fossés pour envoyer cette eau en aval, car lors de pluies normales mais de longues durées, cette eau file inonder les vallées sans avoir le temps de gorger les sols les plus hauts.

Si l’on ne veut pas avoir à perpétuellement curer des fossés et watringues qui s’envasent presque aussi vite qu’on les cure, suivons les conseils de l’Agence de l’eau et de F. Derancourt (spécialiste de la lutte contre l’érosion à la chambre d’agriculture du Pas de Calais). Les réseaux de bandes enherbées, de talus et de zones tampons vantés dans une très belle brochure couleur sont très efficaces pour filtrer les eaux de ruissellement, et même fixer une grande partie des pesticides et nitrates qu’elles contiennent. Faut il encore qu’on les plantes et qu’on les protège.

DDA et DDE et entreprises de drainage peuvent à juste titre être accusées de contribuer à l’accélération des flux, mais il faut reconnaître qu’elles répondent aussi aux pressions de nombreux riverains, agriculteurs et élus locaux.

Et tout autour et dans le bassin versant, souvent dans le lit majeur, voire mineur de la rivière, outre un urbanisme galopant, les zones d’activités, industrielles et commerciales poussent comme des champignons. Elles sont souvent quasi-totalement imperméabilisées, sans système suffisant de récupération ou tamponnement des eaux de toitures. Elles s’étendent un peu plus chaque année, jusque dans les périmètres de champs captant.

A Blendecques, d’anciennes carrières qui auraient pu accueillir et infiltrer de vastes volumes d’eau ont été remblayées.. avec des déchets, des volumes énormes de déchets. La nappe du sable du Landénien, on l’a vu grâce aux piezzomètres posés avant la construction de la VNVA (contournement du CD 77) ne conserve pas son eau. Le BRGM répertoriait autrefois je crois une soixantaine de sources sur les flancs du plateau d’Helfaut, où cette eau est-elle passée ? Que sont devenus le marais d’Arques, les anciennes gravières, les zones inondables de l’Audomarois ?

Remembrements, aménagements et certaines pratiques agricoles, gestion des fossés sont certes un peu mieux étudiés qu’il y a 30 ans, mais ils favorisent encore gravement l’érosion des sols, plus qu’il y a 30 ans semble-t-il même, l’accélération des flux dans un contexte écopaysager qui s’est depuis fortement fragilisé. Ils exacerbent encore les inondations et les sécheresses.

Les lotissements pourraient au moins être HQE (Haute qualité environnementale) et envisager un impact zéro sur l’eau.. Non, c’est trop leur demander (Voir conseils d’Adopta à Douai, ou leur site Internet). Pourtant ça coûte plutôt beaucoup moins cher à terme.

Il y a longtemps que le plateau des bruyères de Longuenesse a perdu et ses zones humides (et ses bruyères), mais les 300 ha du plateau d’Helfaut, les centaines d’ha de coteaux calcaires de la vallée de l’Aa, les milliers d’ha de champs et surtout de prairies bocagères au lieu d’être aménagés dès le haut du bassin versant pour retenir l’eau, ce qui serait à l’avantage de tous, sont en grande partie drainés et travaillés de manière à faciliter l’évacuation de l’eau, quand ils ne sont pas simplement urbanisés ou transformés en agriculture intensive. Si chaque m2 évacue 2 fois plus vite chaque litre tombé chez le voisin. Par effet en cascade en bas dans la vallée l’eau finit par monter très vite, bien trop vite.

 

Je suis trop fatigué. Il faudrait que j’aille me coucher et que je finisse d’écrire demain.

M… dort, mais notre fille (9 ans) s’est réveillée et vient me voir emballée dans sa couette..

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Elle n’a pas vu celles-ci, mais elle a déjà l’habitude des inondations. Quand elle avait 4, 5 6 et 7 ans, je l’ai déjà emmené dans mes tournées de photos d’inondations, en la portant sur mon dos quand il y avait trop d’eau.. Elle veut voir les photos..

[…/…]

Je viens de lui montrer les photos que j’ai prises aujourd’hui.

Elle les a regardé en parlant beaucoup. Parfois ça l’a fait rire, en voyant que des gens s’étaient fait des bottes avec des sacs poubelles, ou qu’ils étaient transportées dans des bennes de tracteurs ou que certains avais mis leurs affaires sur le toit de la maison, ou en voyant des poubelles se promenant au gré de l’eau… mais je sens que son rire nerveux cache une forte angoisse et qu’il est le moyen de tenir à distance quelques chose comme un mélange de peur et de prise de conscience..

Je l’ai envoyé se recoucher, et je pense que je devrais faire de même.

Je suis incapable d’expliquer pourquoi, mais je pense que je serais dans le même genre d’état après une journée de bombardement à Sarajevo... Pas à cause des dégâts ou des morts ou de la guerre stupide auxquels je n’oserai comparer une simple inondation, mais peut-être à cause d’une cause humaine et incompréhensible, de quelque chose qu’il y aurait d’effrayant et d’insupportablement stupide dans la nature humaine.. qui ternit ce que je voudrais voir d’intelligence, de beauté et de bonté dans l’humanité...

Tout à l’heure, avant de rentrer je suis passé chez des amis qui m’ont donné un réconfortant grand bol de chocolat bouillant et des petites gaufres. J’ai mangé une noix et on a beaucoup parlé, on a essayé de regarder la télé, mais c’était déjà la fin des infos.. J’ai mal à la tête, mal partout. Je vais dormir, mais demain je continuerai.

Chronique d'une inondation annoncée 2/3

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